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La nutrition au

service du

bien vieillir

 

La durée de vie s'allonge. C'est tant mieux, à condition que les années gagnées soient de << vraies bonnes années >>. À quoi devons-nous cette augmentation de la longévité? À une meilleure hygiène, au progrès médical et à des médicaments efficaces, mais aussi à l'alimentation! Insuffisante durant des siècles, cette alimentation profuse et variée - du moins dans les pays occidentaux - a largement contribué à augmenter notre espérance de vie (et notre taille). Mais le vieillissement lui-même soulève à présent sa part de problèmes nutritionnels auxquels il va falloir répondre rapidement si l'on veut anticiper les conséquences du " papy boom". Les sujets âgés ont-ils des besoins nutritionnels spécifiques? Ces besoins sont-ils habituellement couverts? Quels sont les principes de la prescription diététique chez le sujet âgé? Après avoir tenté de répondre à ces questions, nous vous proposerons ici quelques conseils diététiques pratiques.

Les sujets âgés ont-ils des besoins nutritionnels spécifiques ?
Pour répondre à cette question, encore faut-il savoir à partir de quel âge nous devons considérer une personne comme âgée : Soixante, 65 ans - âge longtemps retenu comme seuil par les gériatres - 70 voire désormais 75 ans?... Une chose est sûre, l'âge de la vieillesse recule. Globalement, on est donc jeune plus longtemps, mais le paysage de la population vieillissante est surtout très varié. De l'octogénaire en pleine possession de ses moyens et autonome, au "vieillard" dépendant dès avant l'âge de 65 ans, tout peut se voir. Usé par l'alcool et le tabac ou préservé par l'exercice physique, désavantagé par la génétique, ménagé par un boulot "peinard" ou au


Conséquences pratiques

  • Veiller à conserver une activité physique, en particulier au moment de la période charnière de la retraite, et lors d'événements qui risquent de la diminuer (isolement, dépression, immobilisation, hospitalisation, institutionnalisation).

  • Veiller à ce que les sujets âgés mangent en proportion, davantage pour une même dépense que les sujets adultes plus jeunes.

  • Porter une attention redoublée à l'équilibre de la ration alimentaire des sujets dont les possibilités de mobilité sont définitivement compromises et, au besoin, les supplémenter en micronutriments.

 

contraire vieilli prématurément par le "job hyperstressant" qui lui a obstrué les coronaires, l'état de "conservation" du sujet âgé est éminemment variable et ses besoins nutritionnels aussi. Malgré cette hétérogénéité, il est possible de dégager quelques caractéristiques spécifiques des besoins de la population âgée.

Les besoins énergétiques diminuent avec l'âge
Entre les trois postes de dépenses : la thermogenèse, le métabolisme basal et les dépenses dues à l'activité physique, c'est ce dernier qui explique la plus grande partie de la diminution des besoins constatée chez les sujets âgés (environ 50 %). L'exercice physique influence par ailleurs lui-même le métabolisme de base en entretenant la masse musculaire. Ainsi le métabolisme de repos des personnes âgées pratiquant régulièrement un exercice physique est-il supérieur à celui des sédentaires.

La diminution des besoins a deux conséquences importantes :

  1. Plus la ration énergétique est faible, plus il est difficile d'assurer un régime équilibré : une ration de 1 500 kcal n'assure qu'une partie des apports conseillés en vitamines

  2. Plus la masse maigre est faible, moins le sujet âgé supporte la dette nutritionnelle; un catabolisme azoté retentit rapidement sur son équilibre qui est fragile.

Tableau 1

Teneur des principaux aliments riches en calcium

Aliments

mg de calcium /100 g

Laitages 


Fromages
Lait
Yaourt
Fromage blanc (20 % mg)


950
110
130
110

Poissons 


Sardines à l'huile
Crevettes


400
115

Fruits et légumes 


Cerfeuil
Amandes
Figues sèches
Oranges
Chou


260
250
160
40
112

Pain complet 

 


58

Source : Favier JC et al. Répertoire général des aliments. Tables de compositions.
INRA/CNEVA CIQUAL/TECH & DOC, 1995

 

Le maintien de l'activité physique des sujets âgés est donc crucial, lorsqu'il est possible. Il permet de maintenir la masse maigre et, en augmentant les besoins, de conserver une ration énergétique suffisante et diversifiée. Mais attention, compte tenu d'un rendement énergétique diminué, les sujets âgés ont, à activité physique égale, des besoins énergétiques supérieurs à ceux des adultes jeunes...

Certains besoins non-énergétiques ont une particulière importance
Parmi eux l'eau, le calcium et la vitamine D.

Eau
Parallèlement à la masse maigre, la masse hydrique diminue elle aussi avec l'âge. Le seuil de perception de la soif s'émousse, entraînant une vulnérabilité plus importante du sujet âgé à la déshydratation. Il est donc important d'apprendre au sujet âgé à "boire sans soif ".

 

Vitamines et oligo-éléments
On considère que les besoins en vitamines et oligo-éléments sont les mêmes que ceux des sujets plus jeunes sauf pour le calcium et la vitamine D qui sont spécifiquement accrus (cf. tableau 2).
Le besoin en calcium est augmenté chez le sujet âgé, en particulier chez la femme en post-ménopause en raison d'une fuite urinaire et d'une diminution des capacités d'absorption digestive du calcium. Un apport journalier de 1200 à 1500 mg est nécessaire sous forme de fromages, lait, laitages, entremets à chaque repas, mais le calcium se trouve aussi dans d'autres aliments (cf. tableau 1).
Les besoins en vitamine D sont augmentés, car la synthèse endogène de vitamine D diminue avec l'âge, et l'exposition au soleil fait souvent défaut au sujet âgé. Ils sont estimés à 800 UI/j de vitamine D3.

Tableau 2

Apports nutritionnels conseillés pour les sujets âgés (> 60 ans) en bonne santé

Macronutriments  Minéraux et oligo-éléments  Vitamines
Apports
énergétiques
> 25 kcal/kg/j
H. 2 000 - 2 400 kcal
F. 1600 - 2000 kcal
En cas d'activité sportive 
Calcium R 1200 mg Vitamines liposolubles
Phosphore R 1000 mg Vitamine A 800 - 1 000 microg équivalent rétinol
Magnésium  330 - 420 mg Vitamine D 12 - 20 microg = 480 - 800 Ul
Apports
protéiques
> 1 g/kg/j
12 - 15 % de l'apport énergétique total > 60 g/j Zinc  12 - 15 mg Vitamine E 12 mg= 18 Ul
Fer  10 mg Vitamine K  35 - 45 microg
Manganèse  4 mg
Apports glucidiques  50 - 55 % de l'apport énergétique total 2.5 à 3 fois l'apport énergétique protéique en privilégiant les sucres complexes Cuivre 2,5 mg Vitamines hydrosolubles
Iode 150 microg Vitamine B1 1,3 - 1,5 mg
Molybdène 150 microg Vitamine B2 1,5 - 1,8 mg
Apports lipidiques 30 - 35 % de l'apport énergétique total Chrome 125 microg Vitamine B3 (pp) 15 - 18 mg
Sélénium 70 microg Vitamine B5 7 - 10 mg
Vitamine B6 2 - 2,2 mg
Eau > 1,5 1/j
+ 300 - 500 ml en cas de fièvre
Na +*  4 - 5 g Vitamine B9 (acide folique) 300 microg
K+* 2 - 8 g Vitamine B12 3 microg
Vitamine C 60 - 100 mg

R : chiffres supérieurs aux ANCs de 1992 mais généralement admis *recommandation

 


Quelques questions à se poser devant une personne âgée qui perd l'appétit...
Sa nourriture est-elle assez appétissante et relevée? N'est-elle pas monotone? N'a-t-elle pas des idées fausses sur ce qui est bon pour elle? Ne prend elle pas trop de médicaments? N'est elle pas déprimée? N'y a-t-il pas une maladie non diagnostiquée? Pourrait elle << bouger >> un peu plus? L'état de la dentition est-il satisfaisant? Ne souffre-t-elle pas de constipation (veiller à l'état d'hydratation)?

Conseils à la personne qui fait les courses
Ne pas acheter de grosses quantités, surveiller les dates de péremption, la facilité de conservation, l'ouverture des emballages, la préparation des plats et leur consommation, le goût des aliments.

De par leurs propriétés antioxydantes, certaines vitamines et oligo-éléments semblent importants au cours de la vieillesse. Un vieillissement accéléré pourrait provenir d'un défaut d'adaptation au stress oxydatif, en partie du à un manque d'antioxydants (tocophérols, caroténoïdes, vitamine C, zinc et sélénium) [1]. Est-ce qu'une ration enrichie en antioxydants permettrait de prévenir le vieillissement accéléré et les risques de certaines maladies associées à la vieillesse? On sait déjà que les antioxydants exercent un rôle préventif sur la cataracte, mais nous devrons attendre les résultats d'études d'interventions en cours pour répondre à cette importante question. D'ores et déjà, nous pouvons cependant veiller à ce que nos sujets âgés ne manquent pas de ces éléments précieux (cf. tableau 2). Plusieurs études sont en cours pour déterminer si certains de ces antioxydants ne pourraient pas prévenir aussi la survenue de certains cancers. Ainsi, le sélénium pourrait prévenir la survenue du cancer colorectal, de la prostate et du poumon. L'étude contrôlée PRECISE (PRÉvention of Cancer Intervention with SElenium) qui est en cours dans plusieurs pays d'Europe (Finlande, Danemark, Suède, Royaume-Uni) et aux USA et qui porte sur 52 500 sujets âgés de 60-74 ans en apparente bonne santé espère, avec le sélénium (100 à 300 microg/j ou placebo), diminuer de 1/3 le nombre de cancers sur 5 ans !

Les besoins des sujets âgés sont-ils habituellement couverts ?
Les enquêtes françaises menées auprès des personnes âgées vivant à domicile montrent que les ingestes en macronutriments sont globalement satisfaisants pour maintenir le statut nutritionnel, mais la moyenne cache des carences et des excès. Les rations en glucides et en fibres sont souvent insuffisantes alors que la ration protéique ne l'est que rarement (environ 10 % des cas) [2]. La carence vitamino-calcique est en revanche très fréquente. La supplémentation en vitamine D est presque systématique au moins pendant les mois d'hiver et chez les personnes peu exposées au soleil. Lorsque la ration en calcium n'est pas atteinte avec le régime alimentaire, ce qui est fréquent, il convient de corriger la carence d'apport par une association vitamino-calcique.
Chez les personnes âgées hospitalisées, la malnutrition protéino-énergétique est fréquente. Elle s'accompagne d'un déficit en oligo-éléments et constitue un facteur important de morbi-mortalité. La carence calcique est extrêmement fréquente, de même que celle en vitamine D. La supplémentation vitamino-calcique est systématique. A des doses physiologiques, elle permet de réduire l'incidence des fractures du col fémoral, notamment chez les sujets âgés vivant en institution ayant une faible exposition solaire.
Les micro-carences en particulier en vitamine E, vitamine B6, acide folique, zinc.... qui peuvent jouer, comme nous l'avons vu, un rôle important dans le processus de vieillissement accéléré, sont, elles aussi, fréquentes chez le sujet âgé institutionnalisé et à un moindre degré chez le sujet âgé vivant à domicile. En France, la consommation de sélénium par exemple, est relativement faible (48 microgrammes/j) et inférieure aux recommandations de l'OMS (50-200microg/j). Indépendamment de la carence d'apport, l'alcool et le tabac, de même que certains médicaments (par exemple antiépileptiques), empêchent l'absorption de certaines vitamines.

Attitude pratique
Au fil des ans, les situations à risque de déséquilibre alimentaire augmentent et la proportion des personnes âgées qui conserve une alimentation normale diminue.

De multiples raisons d'être vigilant
Avec l'âge, le goût et l'odorat s'émoussent, les fausses croyances diététiques (la viande, c'est bon pour les gens actifs ... ) et les mauvaises habitudes (je suis tout seul, je ne me fais pas à manger), auxquelles s'ajoutent souvent les difficultés de mastication (appareils dentaires mal adaptés) engendrent la monotonie... et les carences. Les médicaments, souvent nombreux (parfois trop), par leurs effets secondaires digestifs et ou simplement par le volume à avaler qu'ils représentent, contribuent à réduire l'apport alimentaire de bien des sujets âgés.

La vieillesse est particulièrement exposée à dès événements qui influent négativement sur l'alimentation et ou l'activité physique :

  • difficultés familiales (veuvage), sociales (isolement), économiques (baisse de revenus),
  • maladies chroniques, en particulier celles entraînant des handicaps permanents,
  • immobilisation quelle que soit sa cause,
  • dépression,
  • hospitalisation/institutionnalisation.

À cela peuvent s'ajouter des prescriptions diététiques inadaptées:

  • Non-respect des habitudes alimentaires : interdire le chocolat à 75 ans, c'est du sadisme !

  • Le régime très restrictif en sel est le plus souvent inutile. Il est anorexigène et prive de source de protéines (charcuterie) et de calcium (fromages);

  • Le régime restrictif en glucides des diabétiques est un vestige de l'antiquité diététique du xxe siècle;

  • Le régime dépourvu en cholestérol chez un sujet hyperlipidémique âgé est tout aussi inutile. Il le prive d'une source importante et peu onéreuse de protéines : les œufs et, à un moindre degré, le fromage;

  • Chez un sujet âgé en surpoids sans facteur de risque de morbidité, établir un régime restrictif, c'est prendre le risque qu'il soit suivi... Bonjour les carences et la malnutrition cachée...

Veiller à ce que les conditions favorables à une alimentation correcte soient réunies

Avant de donner des conseils diététiques il convient de :

  • S'enquérir des goûts, de la dentition, des possibilités d'activité physique, du moral et de l'appétit.

  • Chercher à savoir qui fait les courses et la cuisine afin de lui donner des conseils; la famille peut-elle participer? L'achat d'un réfrigérateur - congélateur peut être la solution à des difficultés de déplacement, en facilitant le stockage.

  • Recourir aux aides sociales pour les personnes qui vivent seules avec des revenus modestes ou qui ne sont pas parfaitement autonomes. Les mairies proposent l'accès à des restaurants collectifs et fournissent à domicile des repas équilibrés.

  • Évaluer les besoins énergétiques et la consommation habituelle : ration énergétique, féculents, laitages, protéines, vitamine D en particulier.

Quelques principes diététiques

  • L'alimentation doit être adaptée aux goûts, saine, appétissante, variée, relevée, car goûts et saveurs sont ainsi mieux perçus et les épices augmentent le péristaltisme. Que chaque repas soit une source de fête!

  • L'alimentation peut être fractionnée, cela permet de compenser la baisse du seuil de satiété, en limitant le volume du bol alimentaire. Il faut, au minimum, veiller au respect des 3 repas quotidiens, le dîner devant être suffisamment riche en féculents. En cas de déficit calorique, mieux vaut proposer plusieurs prises alimentaires (6 repas fractionnés) que trois gros repas.

  • En cas d'inappétence ou de grande difficulté à s'alimenter, donner des conseils pour enrichir des plats de petits volumes et de texture fluide. Exemples : ajouter du beurre, du lait en poudre, du fromage, du jaune d'œuf, du vermicelle dans les potages ou les purées et de la crème fraîche, des biscuits écrasés dans les laitages.

  • L'rapport énergétique journalier doit être adapté individuellement selon l'enquête alimentaire et selon l'activité physique. Cet apport se situe généralement entre 1600-1800 kcalories pour une femme de 60 kg et 2000-2400 kcalories pour un homme de 70 kg (personnes valides).

  • L'apport protéique optimal n'est pas connu. L'apport minimal est d'au moins 1 g/kg de poids corporel.

  • Les glucides couvrent la moitié de la ration énergétique (glucides complexes, produits sucrés, fruits et légumes pour les fibres).

  • Les lipides animaux et surtout végétaux (acides gras poly-insaturés et mono-insaturés) complètent l'apport énergétique.

  • Le volume de boisson doit être au moins de 1,5 litre d'eau par jour.

Un exemple de menu équilibré


Petit déjeuner :

Lait chocolaté, tartines beurrées, miel

Collation :
Compote de fruits

Déjeuner
Crudités variées avec un oeuf dur mimosa

Roussette rôtie aux haricots blancs et tomates

Yaourt aux fruits

Pain

Un verre de vin 

Collation
Thé et riz au lait

Dîner
Potage de légumes

Camembert

Salade de fruits frais

Pain complet

Un verre de lait chaud

 


À retenir

  • La vieillesse retentit de façon trop variable sur les besoins pour que l'on puisse définir des besoins nutritionnels standards du sujet âgé. Dans l'ensemble, ces besoins diminuent.

  • Il est difficile d'assurer un résine équilibré lorsque la ration énergétique est faible. La diminution de la masse maigre rend l'équilibre nutritionnel du sujet âgé, fragile; deux raisons pour encourager les sujets âgés à conserver une activité physique.

  • Le vieillard est quelquefois dénutri, souvent carencé en calcium, vitamines et oligo-éléments, toujours vulnérable à la déshydratation; Les carences sont particulièrement fréquentes chez les sujets institutionnalisés.

  • La vieillesse est émaillée de multiples situations à risque de déséquilibre alimentaire.

  • Chez les sujet âgés, il convient d'être diéto-vigilant, de connaître les principes, les solutions et les petites astuces diététiques pour leur permettre de vivre mieux et encore plus vieux.

Conclusion
La nutrition du sujet âgé n'a pas encore livré tous ses secrets. Est-ce que la longévité est tributaire d'une alimentation restreinte à l'âge adulte, comme le montrent certaines études expérimentales? Quelle sera la place des anti-oxydants dans le contrôle du vieillissement?
Il nous faudra vieillir un peu pour avoir des réponses à ces questions.
En attendant, n'oublions pas que l'équilibre nutritionnel du sujet âgé est fragile et menacé en beaucoup d'occasions. Aussi est-il important, chez tout sujet âgé, d'être vigilant, vis à vis de toutes les causes possibles de déséquilibre alimentaire.
Plus qu'une ration pléthorique, le sujet âgé a besoin d'un apport personnalisé qui tienne compte des spécificités de son âge et de son activité. Le maintien de cette activité est primordial et entretient des rapports réciproques avec le maintien de l'équilibre alimentaire. Encourageons donc les sujets âgés à conserver le maximum d'activité physique, mais aussi à garder des activités sociales le plus longtemps possible. Au maintien de l'activité physique, elles ajoutent l'intérêt des relations humaines. Ainsi les personnes âgées garderont le plaisir de vivre et nous le transmettront.

 

Source : Pratiques Médicales et Thérapeutiques - n° 1 Mars 2000

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