Les sujets âgés
ont-ils des besoins nutritionnels spécifiques ?
Pour répondre à cette question, encore faut-il savoir à partir de quel
âge nous devons considérer une personne comme âgée : Soixante, 65 ans
- âge longtemps retenu comme seuil par les gériatres - 70 voire
désormais 75 ans?... Une chose est sûre, l'âge de la vieillesse recule.
Globalement, on est donc jeune plus longtemps, mais le paysage de la
population vieillissante est surtout très varié. De l'octogénaire en
pleine possession de ses moyens et autonome, au "vieillard"
dépendant dès avant l'âge de 65 ans, tout peut se voir. Usé par
l'alcool et le tabac ou préservé par l'exercice physique, désavantagé
par la génétique, ménagé par un boulot "peinard" ou au
Conséquences pratiques
-
Veiller à conserver une activité
physique, en particulier au moment de la période charnière de la retraite,
et lors d'événements qui risquent de la diminuer (isolement, dépression,
immobilisation, hospitalisation, institutionnalisation).
-
Veiller à ce que les sujets âgés
mangent en proportion, davantage pour une même dépense que les sujets
adultes plus jeunes.
-
Porter une attention redoublée à
l'équilibre de la ration alimentaire des sujets dont les possibilités de
mobilité sont définitivement compromises et, au besoin, les supplémenter
en micronutriments.
|
contraire vieilli
prématurément par le "job hyperstressant" qui lui a obstrué
les coronaires, l'état de "conservation" du sujet âgé est
éminemment variable et ses besoins nutritionnels aussi. Malgré cette
hétérogénéité, il est possible de dégager quelques
caractéristiques spécifiques des besoins de la population âgée.
Les besoins
énergétiques diminuent avec l'âge
Entre les trois postes de dépenses : la thermogenèse, le
métabolisme basal et les dépenses dues à l'activité physique, c'est ce
dernier qui explique la plus grande partie de la diminution des besoins
constatée chez les sujets âgés (environ 50 %). L'exercice physique influence
par ailleurs lui-même le métabolisme de base en entretenant la masse
musculaire. Ainsi le métabolisme de repos des personnes âgées pratiquant
régulièrement un exercice physique est-il supérieur à celui des
sédentaires.
La diminution des besoins a deux conséquences importantes
:
-
Plus la ration énergétique
est faible, plus il est difficile d'assurer un régime équilibré :
une ration de 1 500 kcal n'assure qu'une partie des apports
conseillés en vitamines
-
Plus la masse maigre est
faible, moins le sujet âgé supporte la dette nutritionnelle; un
catabolisme azoté retentit rapidement sur son équilibre qui est
fragile.
Tableau 1
Teneur des principaux aliments riches en
calcium
|
Aliments
|
mg de calcium
/100 g
|
|
Laitages
|
Fromages
Lait
Yaourt
Fromage blanc (20 % mg)
|
950
110
130
110
|
Poissons
|
Sardines à l'huile
Crevettes
|
400
115
|
Fruits et légumes
|
Cerfeuil
Amandes
Figues sèches
Oranges
Chou
|
260
250
160
40
112
|
Pain complet
|
|
58
|
Source : Favier JC
et al. Répertoire général des aliments. Tables de compositions.
INRA/CNEVA CIQUAL/TECH & DOC, 1995 |
Le maintien de l'activité physique des
sujets âgés est donc crucial, lorsqu'il est possible. Il permet de maintenir
la masse maigre et, en augmentant les besoins, de conserver une ration
énergétique suffisante et diversifiée. Mais attention, compte tenu d'un
rendement énergétique diminué, les sujets âgés ont, à activité physique
égale, des besoins énergétiques supérieurs à ceux des adultes jeunes...
Certains besoins
non-énergétiques ont une particulière importance
Parmi eux l'eau, le
calcium et la vitamine D.
Eau
Parallèlement à la masse maigre, la masse
hydrique diminue elle aussi avec l'âge. Le seuil de perception de la soif
s'émousse, entraînant une vulnérabilité plus importante du sujet âgé
à la déshydratation. Il est donc important d'apprendre au sujet âgé à
"boire sans soif ".
Vitamines et
oligo-éléments
On considère que les besoins en vitamines et oligo-éléments sont les
mêmes que ceux des sujets plus jeunes sauf pour le calcium et la vitamine
D qui sont spécifiquement accrus (cf. tableau 2).
Le besoin en calcium est augmenté chez le sujet âgé, en particulier
chez la femme en post-ménopause en raison d'une fuite urinaire et d'une
diminution des capacités d'absorption digestive du calcium. Un apport
journalier de 1200 à 1500 mg est nécessaire sous forme de fromages,
lait, laitages, entremets à chaque repas, mais le calcium se trouve aussi
dans d'autres aliments (cf. tableau 1).
Les besoins en vitamine D sont augmentés, car la synthèse endogène de
vitamine D diminue avec l'âge, et l'exposition au soleil fait souvent
défaut au sujet âgé. Ils sont estimés à 800 UI/j de vitamine D3.
Tableau 2
Apports nutritionnels
conseillés pour les sujets âgés (> 60 ans) en bonne santé
|
Macronutriments
|
Minéraux
et oligo-éléments |
Vitamines |
Apports
énergétiques
> 25 kcal/kg/j |
H.
2 000 - 2 400 kcal
F. 1600 - 2000 kcal
En cas d'activité sportive |
Calcium
R |
1200
mg |
Vitamines
liposolubles
|
Phosphore
R |
1000
mg
|
Vitamine
A
|
800
- 1 000 microg équivalent rétinol |
Magnésium |
330
- 420 mg |
Vitamine
D |
12 - 20
microg = 480 - 800 Ul |
Apports
protéiques
> 1 g/kg/j
|
12
- 15 % de l'apport énergétique total
> 60 g/j
|
Zinc
|
12
- 15 mg |
Vitamine
E |
12 mg=
18 Ul |
Fer |
10
mg |
Vitamine
K |
35
- 45 microg |
Manganèse
|
4
mg |
Apports
glucidiques
|
50
- 55 % de l'apport énergétique total 2.5
à 3 fois l'apport énergétique
protéique en privilégiant les sucres
complexes
|
Cuivre |
2,5
mg |
Vitamines
hydrosolubles
|
Iode |
150
microg |
Vitamine
B1 |
1,3 -
1,5 mg |
Molybdène |
150
microg |
Vitamine
B2 |
1,5 -
1,8 mg |
Apports
lipidiques
|
30
- 35 % de l'apport énergétique total
|
Chrome
|
125
microg
|
Vitamine
B3 (pp) |
15 - 18
mg |
Sélénium
|
70
microg
|
Vitamine
B5
|
7 - 10
mg |
Vitamine
B6
|
2 - 2,2
mg |
Eau
|
>
1,5 1/j
+ 300 - 500 ml en cas de
fièvre |
Na
+* |
4
- 5 g |
Vitamine
B9 (acide folique)
|
300
microg |
K+* |
2
- 8 g |
Vitamine
B12 |
3 microg |
Vitamine
C |
60 - 100
mg |
R : chiffres
supérieurs aux ANCs de 1992 mais généralement admis
*recommandation |
Quelques questions à se
poser devant une personne âgée qui perd l'appétit...
Sa nourriture
est-elle assez appétissante et relevée? N'est-elle pas
monotone? N'a-t-elle pas des idées fausses sur ce qui est bon
pour elle? Ne prend elle pas trop de médicaments? N'est elle
pas déprimée? N'y a-t-il pas une maladie non diagnostiquée?
Pourrait elle << bouger >> un peu plus? L'état de
la dentition est-il satisfaisant? Ne souffre-t-elle pas de
constipation (veiller à l'état d'hydratation)?
Conseils à
la personne qui fait les courses
Ne pas acheter de
grosses quantités, surveiller les dates de péremption, la
facilité de conservation, l'ouverture des emballages, la
préparation des plats et leur consommation, le goût des
aliments.
|
De par leurs propriétés
antioxydantes, certaines vitamines et oligo-éléments semblent importants
au cours de la vieillesse. Un vieillissement accéléré pourrait provenir
d'un défaut d'adaptation au stress oxydatif, en partie du à un manque
d'antioxydants (tocophérols, caroténoïdes, vitamine C, zinc et
sélénium) [1]. Est-ce qu'une ration enrichie en antioxydants permettrait
de prévenir le vieillissement accéléré et les risques de certaines
maladies associées à la vieillesse? On sait déjà que les antioxydants
exercent un rôle préventif sur la cataracte, mais nous devrons attendre
les résultats d'études d'interventions en cours pour répondre à cette
importante question. D'ores et déjà, nous pouvons cependant veiller à
ce que nos sujets âgés ne manquent pas de ces éléments précieux (cf.
tableau 2). Plusieurs études sont en cours pour déterminer si certains
de ces antioxydants ne pourraient pas prévenir aussi la survenue de
certains cancers. Ainsi, le sélénium pourrait prévenir la survenue du
cancer colorectal, de la prostate et du poumon. L'étude contrôlée
PRECISE (PRÉvention of Cancer Intervention with SElenium) qui est en cours
dans plusieurs pays d'Europe (Finlande, Danemark, Suède, Royaume-Uni) et
aux USA et qui porte sur 52 500 sujets âgés de 60-74 ans
en apparente bonne santé espère, avec le sélénium (100 à 300 microg/j
ou placebo), diminuer de 1/3 le nombre de cancers sur 5 ans !
Les
besoins des sujets âgés sont-ils habituellement
couverts ?
Les enquêtes françaises menées auprès des
personnes âgées vivant à domicile montrent que les ingestes en
macronutriments sont globalement satisfaisants pour maintenir le statut
nutritionnel, mais la moyenne cache des carences et des excès. Les
rations en glucides et en fibres sont souvent insuffisantes alors que la
ration protéique ne l'est que rarement (environ 10 % des cas) [2]. La
carence vitamino-calcique est en revanche très fréquente. La
supplémentation en vitamine D est presque systématique au moins pendant
les mois d'hiver et chez les personnes peu exposées au soleil. Lorsque la
ration en calcium n'est pas atteinte avec le régime alimentaire, ce qui
est fréquent, il convient de corriger la carence d'apport par une
association vitamino-calcique.
Chez les personnes âgées hospitalisées, la malnutrition
protéino-énergétique est fréquente. Elle s'accompagne d'un déficit en
oligo-éléments et constitue un facteur important de morbi-mortalité. La
carence calcique est extrêmement fréquente, de même que celle en
vitamine D. La supplémentation vitamino-calcique est systématique. A des
doses physiologiques, elle permet de réduire l'incidence des fractures du
col fémoral, notamment chez les sujets âgés vivant en institution ayant
une faible exposition solaire.
Les micro-carences en particulier en vitamine E, vitamine B6, acide
folique, zinc.... qui peuvent jouer, comme nous l'avons vu, un rôle
important dans le processus de vieillissement accéléré, sont, elles
aussi, fréquentes chez le sujet âgé institutionnalisé et à un moindre
degré chez le sujet âgé vivant à domicile. En France, la consommation
de sélénium par exemple, est relativement faible (48 microgrammes/j) et
inférieure aux recommandations de l'OMS (50-200microg/j). Indépendamment
de la carence d'apport, l'alcool et le tabac, de même que certains
médicaments (par exemple antiépileptiques), empêchent l'absorption de
certaines vitamines.
Attitude pratique
Au fil des ans, les situations à risque de déséquilibre alimentaire
augmentent et la proportion des personnes âgées qui conserve une
alimentation normale diminue.
De multiples raisons
d'être vigilant
Avec l'âge, le goût et l'odorat
s'émoussent, les fausses croyances diététiques (la viande, c'est bon
pour les gens actifs ... ) et les mauvaises habitudes (je suis tout seul,
je ne me fais pas à manger), auxquelles s'ajoutent souvent les
difficultés de mastication (appareils dentaires mal adaptés) engendrent
la monotonie... et les carences. Les médicaments, souvent nombreux
(parfois trop), par leurs effets secondaires digestifs et ou simplement
par le volume à avaler qu'ils représentent, contribuent à réduire
l'apport alimentaire de bien des sujets âgés.
La vieillesse est
particulièrement exposée à dès événements qui influent négativement
sur l'alimentation et ou l'activité physique :
- difficultés familiales (veuvage), sociales
(isolement), économiques (baisse de revenus),
- maladies chroniques, en particulier celles
entraînant des handicaps permanents,
- immobilisation quelle que soit sa cause,
- dépression,
- hospitalisation/institutionnalisation.
À cela peuvent s'ajouter des
prescriptions diététiques inadaptées:
-
Non-respect des habitudes
alimentaires : interdire le chocolat à 75 ans, c'est du sadisme !
-
Le régime très restrictif
en sel est le plus souvent inutile. Il est anorexigène et prive de
source de protéines (charcuterie) et de calcium (fromages);
-
Le régime restrictif en
glucides des diabétiques est un vestige de l'antiquité diététique
du xxe siècle;
-
Le régime dépourvu en
cholestérol chez un sujet hyperlipidémique âgé est tout aussi
inutile. Il le prive d'une source importante et peu onéreuse de
protéines : les œufs et, à un moindre degré, le fromage;
-
Chez un sujet âgé en
surpoids sans facteur de risque de morbidité, établir un régime
restrictif, c'est prendre le risque qu'il soit suivi... Bonjour les
carences et la malnutrition cachée...
Veiller à ce que les
conditions favorables à une alimentation correcte soient réunies
Avant de donner des conseils
diététiques il convient de :
-
S'enquérir des goûts, de la
dentition, des possibilités d'activité physique, du moral et de
l'appétit.
-
Chercher à savoir qui fait
les courses et la cuisine afin de lui donner des conseils; la famille
peut-elle participer? L'achat d'un réfrigérateur - congélateur peut
être la solution à des difficultés de déplacement, en facilitant
le stockage.
-
Recourir aux aides sociales
pour les personnes qui vivent seules avec des revenus modestes ou qui
ne sont pas parfaitement autonomes. Les mairies proposent l'accès à
des restaurants collectifs et fournissent à domicile des repas
équilibrés.
-
Évaluer les besoins
énergétiques et la consommation habituelle : ration énergétique,
féculents, laitages, protéines, vitamine D en particulier.
Quelques principes
diététiques
-
L'alimentation doit être
adaptée aux goûts, saine, appétissante, variée, relevée, car goûts
et saveurs sont ainsi mieux perçus et les épices augmentent le
péristaltisme. Que chaque repas soit une source de fête!
-
L'alimentation peut être
fractionnée, cela permet de compenser la baisse du seuil de satiété,
en limitant le volume du bol alimentaire. Il faut, au minimum, veiller
au respect des 3 repas quotidiens, le dîner devant être suffisamment
riche en féculents. En cas de déficit calorique, mieux vaut proposer
plusieurs prises alimentaires (6 repas fractionnés) que trois gros
repas.
-
En cas d'inappétence ou de
grande difficulté à s'alimenter, donner des conseils pour enrichir des
plats de petits volumes et de texture fluide. Exemples : ajouter du
beurre, du lait en poudre, du fromage, du jaune d'œuf, du vermicelle
dans les potages ou les purées et de la crème fraîche, des biscuits
écrasés dans les laitages.
-
L'rapport énergétique
journalier doit être adapté individuellement selon l'enquête
alimentaire et selon l'activité physique. Cet apport se situe
généralement entre 1600-1800 kcalories pour une femme de 60 kg et
2000-2400 kcalories pour un homme de 70 kg (personnes valides).
-
L'apport protéique optimal
n'est pas connu. L'apport minimal est d'au moins 1 g/kg de poids
corporel.
-
Les glucides couvrent la
moitié de la ration énergétique (glucides complexes, produits
sucrés, fruits et légumes pour les fibres).
-
Les lipides animaux et surtout
végétaux (acides gras poly-insaturés et mono-insaturés) complètent
l'apport énergétique.
-
Le volume de boisson doit être
au moins de 1,5 litre d'eau par jour.
Un exemple
de menu équilibré |
Petit déjeuner :
Lait chocolaté, tartines
beurrées, miel
Collation :
Compote de fruits
|
Déjeuner
Crudités variées avec
un oeuf dur mimosa
Roussette rôtie aux
haricots blancs et tomates
Yaourt aux fruits
Pain
Un verre de vin
|
Collation
Thé et riz au
lait
Dîner
Potage de légumes
Camembert
Salade de fruits frais
Pain complet
Un verre de lait chaud
|
À retenir
-
La vieillesse retentit
de façon trop variable sur les besoins pour que l'on puisse
définir des besoins nutritionnels standards du sujet âgé.
Dans l'ensemble, ces besoins diminuent.
-
Il est difficile
d'assurer un résine équilibré lorsque la ration énergétique
est faible. La diminution de la masse maigre rend l'équilibre
nutritionnel du sujet âgé, fragile; deux raisons pour
encourager les sujets âgés à conserver une activité
physique.
-
Le vieillard est
quelquefois dénutri, souvent carencé en calcium, vitamines et
oligo-éléments, toujours vulnérable à la déshydratation;
Les carences sont particulièrement fréquentes chez les sujets
institutionnalisés.
-
La vieillesse est
émaillée de multiples situations à risque de déséquilibre
alimentaire.
-
Chez les sujet âgés,
il convient d'être diéto-vigilant, de connaître les
principes, les solutions et les petites astuces diététiques
pour leur permettre de vivre mieux et encore plus vieux.
|
|